Marie au pied de la croix
P. Joseph G. EID
Après avoir parlé la semaine dernière de la figure du disciple bien-aimé, je vais m’arrêter aujourd’hui sur la figure de Marie au pied de la croix, à partir du passage de l’évangile de Saint Jean (Jn 19, 25-27). Et pour ce, je vais parler de Marie à partir de trois axes : Marie comme témoin qui se tient au pied de la croix, Marie comme mère appelée à regarder son nouveau fils/le disciple bien-aimé, et le disciple appelé à prendre Marie chez lui.
Je commence par lire le texte
Or, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle (se tenant près d’elle) le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui
En nous plaçant dans la scène, nous pouvons voir Jésus, trois femmes, et le disciple bien-aimé. Ils sont au total cinq personnes. Ils sont unis par l’amour qu’ils ont pour celui qui est sur la croix. L’amour les a convoqués en cette heure douloureuse pour être présents au coté de celui qu’ils aiment, de Jésus ; tout comme nous aimerions aussi être présents près du lit de mort d’un être aimé. Seuls ceux qui aiment une personne qui souffre ont le courage d’être à ses côtés. La souffrance n’est pas quelque chose qui nous attire. Mais être présent surtout aux derniers moments de la vie d’une personne est signe d’un amour mature.
I. Marie se tenant au pied de la croix
Face à la souffrance, il est difficile de rester ferme, c’est-à-dire de « se tenir debout », surtout pour une mère qui regarde mourir son fils. Dans le texte original, le verbe histemi (grec), signifie « redresser », « se tenir debout ». Que veut dire être debout dans la tradition biblique ?La première fois qu’apparaît ce mot dans ce passage est quand l’évangéliste raconte que Marie, les autres femmes et le disciple bien-aimé « se tenaient debout (fermes) » au près de la croix. Le mot « croix », staurós en grec, a ses racines dans le verbe histemi. Enfin, le mot apparaît quand le disciple bien-aimé est décrit comme « se tenant près de la mère ». Je reviens vers la question : Que veut dire être debout, se tenir debout dans la tradition biblique ?
a. Se tenir debout est la position du témoin. Le mot pour témoin en grec est martys, le martyr, celui qui témoigne. Un témoin est prêt à témoigner quelles que soient les conséquences, même s’il doit donner sa propre vie. Jésus, se tenant debout sur la croix, est le témoin de l’amour du Père pour lui et pour l’humanité. Et le Fils témoigne en donnant volontairement sa propre vie sur la croix.
b. Nous ne pouvons pas oublier que Marie n’est pas seulement une mère, elle est juive. En tant que mère juive, elle sait que son rôle n’est pas seulement d’être une mère aimante pour ses enfants, mais aussi d’être leur enseignante. L’évangéliste place le disciple debout près de la mère. Son témoignage accompagne le témoignage de Marie. Mais Marie, avant d’être désignée comme mère du disciple et enseignante, est aussi un disciple qui suit son Fils au pied de la croix. Elle donne à ses fils et à ses filles spirituels l’exemple d’un témoin ferme (tenant debout) qui suit les traces du Maître.
c. Être debout est aussi la posture de prière dans la culture et le temps de Jésus. Jésus enseigne à ses disciples à être en prière constante. Marie, les autres femmes et le disciple bien-aimé font ce que leur Maître enseigne. Jésus lui-même prie. Comme nous le savons déjà, quand Jésus dit sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? (Ps. 22), il est en train de prier.Les prières sont importantes surtout quand nous sommes au chevet d’un être cher en train de souffrir et que nous ne pouvons rien faire pour arrêter les souffrances. Jésus, Marie, les autres femmes et le disciple bien-aimé prient et offrent leur souffrance à Dieu.
d. Rester/tenir debout est aussi la posture de l’écoute de l’Évangile. Dans la liturgie, nous nous levons pour écouter l’évangile. Quand nous écoutons l’Évangile, nous sommes témoins dans le monde de ce que nous avons entendu être proclamé. Nous affirmons que ce que nous entendons est vrai, et nous sommes prêts à donner notre vie pour cette vérité. Les personnages présents, debout près de la croix, représentent l’amour que nous avons pour notre Seigneur Jésus-Christ.e. Etre debout c’est également préfigurer la résurrection du Christ.
II. Femme, voici ton fils (regarde ton fils)
Je pense qu’il est également important de s’arrêter sur le regard dans ce passage.
a) Jésus voit sa mère et le disciple.
b) Jésus demande à sa mère de voir le disciple/fils.
c) Jésus demande au disciple/fils de voir sa mère.
En les regardant lui-même, Jésus pénètre dans leurs cœurs profondément. Jésus sait ce qu’il y a à l’intérieur de Marie et du disciple bien-aimé. Il les connaît bien. Il a toujours su qu’ils seraient là avec Lui, et maintenant, par la croix, ils sont en réalité avec Lui. En portant la souffrance à ses côtés, en buvant à la même coupe, ils sont maintenant prêts à être appelés à une nouvelle mission.Quand Jésus dit à Marie « regarde ton fils » et au disciple « regarde ta mère », il les appelle à se mettre face à face et à se contempler. Sa mère est un don de Jésus au disciple, mais aussi le disciple est un don qui vient du cœur de Jésus à sa mère. La nouvelle mission est d’établir une nouvelle relation entre mère et disciple.Un autre mot grec sur lequel je veux me concentrer est le verbe lego qui signifie « dire », « parler », « commander ». Le verbe apparaît deux fois dans le texte :
a) Jésus » dit » à sa mère,b) alors Il « dit » à Son disciple.Dans le récit de création quand Dieu » dit « , on a un acte de création. Quand Dieu crée le Monde, « Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière fut (Gn 1: 3). Et devant tout ce qu’il crée, Dieu dit que c’est bon, à l’exception de l’être humain, où il dit que c’est très bon.
Ainsi, quand Jésus regarde le disciple et lui dit « voici ta mère » et inversement, Marie devient la vraie mère du disciple, et le disciple devient son vrai fils. Une nouvelle famille vient à exister, selon ce que Jésus dit. Et cela doit être bon, selon ce que nous avons observé à propos du discours de Dieu dans le récit de la création
III. Le disciple prend Marie chez lui
Le disciple bien-aimé, écoutant ce que Jésus lui demande, prend Marie comme une nouvelle mère, comme sa propre mère. Il la prend dans son intimité et lui donne une place chez lui.
Conclusion
1) Connaître Marie, c’est la suivre/marcher avec elle à la suite de son Fils.
2) Debout devant Marie au pied de la croix, nous devenons fils et filles de Marie.
3) Un fils et une fille de Marie témoignent de la croix et de la résurrection de Jésus.
4) Au pied de la Croix, Jésus demande à sa mère et à son disciple de se contempler, en d’autres termes, de pénétrer le cœur de l’autre et de vivre dans une relation intime les uns avec les autres.
5) Après une profonde contemplation, le disciple emmène avec empressement la mère de Jésus chez lui.